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Au Centre de simulation médicale de Tunis, les mannequins 2.0 jouent le premier rôle

Au Centre de simulation médicale de Tunis, les mannequins 2.0 jouent le premier rôle

Les cris de douleur d’une patiente en travail ont donné l’alerte aux sages-femmes qui ajustent charlottes, masques, surchaussures et lunettes anti-Covid dans la chambre flambant neuve d’une clinique de Tunis. A peine une minute après le début de l’accouchement, la fréquence cardiaque du bébé s’affole. Sur le monitoring, le chiffre grimpe en flèche. Le petit, déjà bien costaud, est bloqué par les épaules dans le bassin de la jeune maman. C’est son premier-né. En langage médical, on appelle ça une dystocie osseuse. Chaque seconde compte pour l’équipe médicale si l’on veut éviter au nourrisson et à la mère des séquelles graves.

Les cris redoublent. Le stress est à son comble, d’autant plus que l’accouchée, fiévreuse, est suspectée d’être positive au coronavirus. La barre fatidique des deux minutes est passée : plus aucune hésitation n’est possible. L’une des trois accoucheuses parvient enfin à délivrer l’enfant, qui pousse son premier cri. Le soulagement se lit sur les visages et les sages-femmes félicitent la maman en serrant sa main. Les larmes ne sont pas loin.

« Coupez, c’est fini !, retentit une voix dans la chambre. C’est bon pour ce scénario ! On se retrouve en salle de débriefing. » Soudain, l’équipe médicale sort, laissant tout en plan. Bienvenue dans le Centre de simulation médical (CSM) de Tunis, où les mannequins 2.0 jouent le premier rôle. Inauguré en novembre 2018, le CSM a déjà formé plus de 2 000 étudiants, 200 professionnels paramédicaux et une vingtaine de médecins.

Emotion palpable

Depuis une dizaine d’années, la réalité virtuelle et l’intelligence émotionnelle sont au cœur des nouvelles manières d’apprendre la médecine : mannequins haute-fidélité dont les organes réagissent aux gestes chirurgicaux, casques d’immersion, jeux vidéo d’apprentissage (serious games), avatar médecin, etc., les possibilités semblent infinies pour compléter et améliorer les cursus classiques. Partout dans le monde, des centres de simulation (près de 1 900 sites) voient le jour, mettant l’accent sur la formation de personnels soignants aux standards internationaux. En Afrique aussi, qui a vu ouvrir une douzaine de centres sur le continent : notamment en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Afrique du Sud ou au Kenya.

Celui de Tunis, qui a reçu à la mi-novembre l’accréditation de la Society for Simulation Heathcare (SSH), l’un des plus importants organismes certificateurs mondiaux, est adossé au réseau d’universités privées Honoris United Universities. Ce groupe panafricain, qui rassemble environ 45 000 étudiants, ambitionne de former l’ingénieur, l’infirmier ou le médecin africain du XXIe siècle sans attendre que le continent ait achevé son développement.

Ce matin-là, dans la salle d’accouchement de Tunis plus vraie que nature, il s’agit pour six futures sages-femmes de compléter leur apprentissage. « Pas sûr que les filles aient vraiment scruté les chiffres du monitoring », note Ibrahim Amara, qui a conduit depuis son ordinateur la première simulation de ce début décembre. « Dans la panique, elles ont tiré sur la tête du bébé !, se désole le professeur Mamoun Ben Cheikh, anesthésiste réanimateur. Et deux minutes trente, c’est beaucoup trop ! Cela peut entraîner des fractures chez le nourrisson. » « On a rejoué les cris de la mère exprès pour faire monter la pression », s’amuse le professeur Chadli Dziri derrière le miroir sans tain d’où les trois hommes ont supervisé la naissance. « Regardez !, pointe du doigt Ibrahim Amara. Avec l’affolement des étudiantes, les pieds du mannequin maman se retrouvent quasiment à la tête ! » Rire général.

Dans la salle de débriefing, les élèves revisionnent les trois interventions filmées qu’elles viennent de mener sous l’œil bienveillant de leur professeure. « Vous êtes là pour vous tromper et apprendre de vos erreurs, rappelle Chédia Ben Mansour. Donc on va analyser ensemble ce qui ne va pas. » Les commentaires fusent dans un mélange d’arabe et de français, l’émotion est encore palpable. « Vous avez su vous répartir les tâches et rassurer la “maman” malgré votre stress, détaille Chédia. La prise en charge psychologique est cruciale dans une naissance. Mais vous avez raté une étape importante : il fallait d’abord repositionner ses jambes pour changer l’angle d’ouverture du bassin. » Le protocole et les fondamentaux sont à nouveau passés en revue et répétés comme des mantras par les jeunes femmes.

« Faire face à l’imprévu »

« “Jamais la première fois sur le patient” est le leitmotiv de notre centre de simulation, explique le professeur et chirurgien Chadli Dziri, qui dirige le CSM de Tunis, rattaché à l’Université Centrale et à l’Institut supérieur privé des sciences de la santé (UPSAT). Ce type d’accouchement, par exemple, est aujourd’hui assez rare, précise le professeur, mais on est là pour mettre des futurs professionnels face à l’imprévu. » Le matin même, un autre groupe d’étudiantes s’est entraîné sur une intubation invasive complexe. Le « patient » en détresse respiratoire, Covid oblige, avait un œdème de la langue et une raideur cervicale qui ont donné du fil à retordre aux apprenties anesthésistes. « Et il n’est pas rare qu’en sortant d’une simulation, elles trouvent dans le couloir un mannequin qui vient de faire un arrêt cardiaque et qu’elles doivent ranimer dans l’urgence sans le secours des instruments. »

Dans les armoires de service qui ressemblent à de petits musées des horreurs trônent poches de sang artificiel, instruments chirurgicaux et toutes sortes de membres aux pathologies diverses : bras arrachés, jambes blessées par balle, mains amputées, peaux brûlées ou gangrenées… Ces pièces détachées permettent aux médecins de varier les scénarios sur lesquels les étudiants vont suer dans une ambiance sonore commandée par ordinateur pour retrouver un maximum de réalisme hospitalier. Les cages thoraciques se soulèvent sous l’inspir et l’expir des poumons, les battements de cœur résonnent dans les oreillettes du stéthoscope, les pupilles se dilatent, les yeux pleurent, les peaux transpirent, les bouches parlent et l’interaction peut aller jusqu’à la réponse à certains stimuli avec les mannequins les plus sophistiqués programmés par ordinateur.

Des apprenties sages-femmes accouchent un mannequin dans une salle du Centre de simulation médicale de Tunis, où les scénarios de simulation sont commandés par deux ordinateurs, le 30 novembre 2020. Sandrine Berthaud-Clair

Au printemps, peut-être désireux de se distinguer de ses concurrents algérois et casablancais, le pôle de Tunis a élargi son offre de formation en proposant des sessions de procréation médicalement assistée (PMA). La première, qui a pu se tenir en mars juste avant le confinement, a accueilli 24 obstétriciens venus de Tunisie, d’Algérie, du Maroc, du Bénin, du Sénégal et du Burkina Faso.

Séné Bineta, gynécologue à Dakar était de ceux-là. Elle veut développer dans son cabinet de la capitale sénégalaise la médecine de reproduction qu’elle a apprise à Paris, à l’hôpital Tenon, en complément de sa spécialisation : « J’avais appris la théorie en septembre 2019. Grâce à ce workshop, j’ai pu rapidement mettre en pratique mes connaissances. C’était très complet. On a eu à faire beaucoup de gestes techniques pour traiter tous les problèmes qu’on peut rencontrer, qu’il s’agisse de ponction, de manipulations in vitro et d’implantation des embryons en conditions quasi réelles. Et l’on a pu voir aussi les petites astuces de pratique qu’on n’apprend pas dans les livres. » Cette formation est d’autant plus importante, explique la docteure, que l’infertilité un véritable problème de santé publique encore peu pris en considération au Sénégal. Les formations sont donc rares en Afrique subsaharienne. « Quatre patientes sur dix qui viennent me voir ont un problème d’infertilité qui dure depuis plus de deux ans. Et malheureusement, le tabou est encore puissant dans nos sociétés. »

« Des amis médecins connaissaient le CSM de Tunis, se souvient quant à lui le Béninois Zyad Olatoundji. Ils en parlaient sur le groupe WhatsApp du Gieraf (Groupe interafricain d’étude, de recherche et d’application sur la fertilité), qui fédère tous les gynécologues-obstétriciens, embryologistes et biologistes d’Afrique subsaharienne. A Cotonou et en Afrique de l’Ouest, ce type de formation ne court pas les rues. » L’obstétricien de 38 ans est en train de monter un centre de PMA dans la clinique Louis-Pasteur de Porto-Novo qui ne sera opérationnel que fin 2021 à cause du Covid : « Le Bénin, qui n’a que deux centres de PMA pour 12 millions d’habitants, a un grand besoin de cette spécialisation. Actuellement, les gens se rendent au Togo ou au Nigeria voisins. La formation m’a permis de rester opérationnel sur les ponctions d’ovocytes et le transfert embryonnaire grâce au réalisme du laboratoire et du simulateur patient. »

Impression de déjà-vu

Un réalisme tel que, parfois, les élèves éprouvent de la peur, comme Rim que le groupe a dû rassurer avant l’entrée en salle d’accouchement au CSM de Tunis. A l’inverse, Jawaher, elle, est parvenue à surmonter le traumatisme qu’elle a vécu lors d’un véritable accouchement en maternité où une patiente avait fait une impressionnante hémorragie post-partum. Trois scénarios de naissance au centre de simulation lui ont permis de reprendre la main sur son émotion.

Car, au-delà des gestes que les étudiants viennent parfaire en parallèle de leur formation théorique et en hôpital, c’est bien la gestion du stress et la communication émotionnelle qui sont au cœur de cet apprentissage virtuel. Que ce soit avec le patient ou dans le travail en équipe. Tout est là pour faire vrai et l’impression de déjà-vu profite aussi bien au malade qu’aux soignants

Si l’entraînement sur des mannequins existe depuis les années 1960, « ce qui fait la di"érence aujourd’hui, ce sont les nouvelles technologies qui nous permettent de recréer un environnement médical autour du patient et de faire interagir les étudiants », explique Chadli Dziri. « Les futurs professionnels ne sont pas toujours exposés à toutes situations d’urgence durant leurs années de stage. Ici, on fera tout pour les leur faire vivre et les y préparer. » Des occasions de répéter gestes et processus d’intervention d’autant plus précieuses qu’avec la crise du coronavirus et les nouvelles contraintes sanitaires, les stagiaires ne sont plus autorisés à toucher les patients.

Si l’entraînement sur des mannequins existe depuis les années 1960, « ce qui fait la différence aujourd’hui, ce sont les nouvelles technologies qui nous permettent de recréer un environnement médical autour du patient et de faire interagir les étudiants », explique Chadli Dziri. « Les futurs professionnels ne sont pas toujours exposés à toutes situations d’urgence durant leurs années de stage. Ici, on fera tout pour les leur faire vivre et les y préparer. » Des occasions de répéter gestes et processus d’intervention d’autant plus précieuses qu’avec la crise du coronavirus et les nouvelles contraintes sanitaires, les stagiaires ne sont plus autorisés à toucher les patients.

Un réseau qui rassemble 45 000 étudiants africains

Honoris United Universities est un réseau panafricain d’enseignement supérieur privé, créé en juillet 2017, qui délivre des diplômes aux normes internationales dans dix disciplines : santé, ingénierie, informatique et télécommunications, sciences politiques, droit, commerce, éducation, architecture, arts et design, médias.

En tout, 45 000 étudiants africains planchent au sein de 60 campus répartis dans 32 villes de dix pays du continent sur des enseignements délivrés de manière physique et en ligne. L’ambition du réseau, comme le précise le site d’Honoris, est de « former la nouvelle génération de leaders et de professionnels africains capables d’avoir un impact sur leur société et leur économie dans un monde globalisé ».

Pour ce faire, le réseau dirigé par Luis Lopez s’est tissé en investissant dans le capital de prestigieuses écoles privées du continent ou en les rachetant, comme en 2017 et 2018, avec cinq établissements au Maroc, en Afrique du Sud et sur l’île Maurice. De nombreux partenariats ont aussi été noués avec une soixantaine d’universités européennes et américaines, qui permettent aux jeunes futurs diplômés africains des échanges intercontinentaux.

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Sandrine Berthaud-Clair(Tunis, envoyée spéciale)

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